UN COURRIER DE PATRICK SALEZ

Tourisme: la pépite est devenue poison!

 Patrick Salez, ile2re.info, 29 août 2018

 

L’euphorie touristique se généralise aujourd’hui de façon impressionnante. Les Etats ont flairé le bon filon et on assiste à une véritable “mise en tourisme” du monde. Le secteur représente 10% de la richesse produite, et affiche 5% de croissance annuelle. Mais il y a un revers à la médaille: 95% des touristes se partagent 5% des territoires. Une telle concentration génère des mouvements d’hostilité des habitants, la touristophobie s’installe!

 

A son échelle, l’île de Ré est devenue un grand site touristique. Cette fréquentation n’a rien de nouveau puisqu’en 1968, l’île accueillait déjà l’été 76.000 personnes pour 10.000 résidents permanents. Mais par rapport à cette époque, trois phénomènes sont nouveaux et explosent littéralement aujourd’hui: les touristes navetteurs (visiteurs à la journée), les camping-cars et les plateformes de location privée. Les troisièmes grossissant les effectifs des premiers puisqu’une part croissante de ces touristes navetteurs louent sur le continent et passent leurs journées sur l’île en tirant parti des tarifs avantageux des abonnements du pont.

 

La surfréquentation actuelle est donc faite de flux plus que de stocks; les queues dans les magasins restent occasionnelles alors que le trafic est incessant, se faisant plus dense au gré de la météo. Un héliotropisme d’autant plus ravageur que l’île est pour l’instant à l’abri des poussées caniculaires. S’y ajoute une particularité, celle, de plus en plus stressante et accidentogène, de l’embolie des pistes cyclables. A un point tel que l’on teste en ce moment une application “Bikeway” permettant d’échapper aux embouteillages. Un Bison Futé des pistes cyclables, le génie humain est décidément sans limite!

 

Je dénonce en vain depuis 2010 les risques d’asphyxie de notre territoire du fait de son ouverture à tout vent au tourisme de masse. Plus récemment dans trois articles publiés par île2re.info (*), j’évoquais les risques de baléarisation et les méfaits d’une politique touristique du “toujours plus” pour la vie quotidienne locale. Car cette surfréquentation ne découle pas seulement du charme de l’île et de son attractivité naturelle. Elle est aussi le produit d’une politique à court terme et d’une approche touristique essentiellement quantitative de nos élus dirigeants (**): augmentation ininterrompue des infrastructures et équipements d’accueil, maîtrise très insuffisante de l’urbanisation, absence de gel des capacités d’hébergement, laxisme vis-à-vis du taux de remplissage et du taux de RML (résidences mobiles de loisirs) des campings, stratégies de marque et de promotion tous azimuts. On pense aujourd’hui régler le problème par les transports en commun propres (***) et le vélo: encore une erreur car fluidifier le trafic, c’est provoquer un appel d’air pour plus de touristes encore.

 

Contre cette surfréquentation, des solutions existent, qui favoriseraient un tourisme raisonné et durable. J’en propose sept:

1) stopper les campagnes de promotion et les actions de marketing: on l’aura compris, les touristes viennent d’eux-mêmes;

2) maîtriser l’urbanisation de l’ex canton-sud en considérant que la diminution de 20% prévue dans le PLUi est insuffisante; car, logements sociaux mis à part (eux sont nécessaires), ouvrir à la construction, c’est ajouter des résidences secondaires à vocation d’investissement locatif et donc gonfler la surfréquentation;

3) geler les capacités d’hébergement et non pas simplement les “maîtriser” comme inscrit dans le PLUi; y compris en examinant la possibilité d’imposer une durée maximale de location aux plateformes du type Airbnb; Amsterdam vient par exemple de limiter cette durée à 30 jours par an;

4) faire respecter par les services de l’Etat le taux de RML des campings fixé par la loi, voire le diminuer dans le PLUi (****);

5) offrir aux touristes ce que nous avons (ressources naturelles, patrimoine culturel et architectural) et non ce qu’ils veulent; ne pas vendre notre âme en transformant l’île en un Luna Park; les grandes roues et les auto-tamponneuses ne sont pas une fatalité;

6) diversifier l’économie; l’arrivée, très attendue de la 4G pourrait y contribuer;

7) réguler les entrées dans l’île en période d’afflux massif; au delà de la technique actuelle consistant à bloquer temporairement l’accès au péage en cas d’engorgement, les premières idées suivantes pourraient être explorées; elles sont de moyen terme, contrairement aux précédentes, car elles peuvent nécessiter une révision de la loi; a) exiger des touristes qu’ils anticipent en ligne, par tranche horaire, leur passage du pont; b) interdire, pour de courtes  périodes, le passage des touristes navetteurs en demandant une preuve d’hébergement; c) augmenter ponctuellement le tarif du pont.

 

Certes la population à l’année supporte aujourd’hui encore, bon gré mal gré, cette surfréquentation, une majorité de familles vivant directement ou indirectement de l’activité touristique. Mais qu’en sera-t’il demain étant donné les perspectives d’évolution du tourisme de masse mondial, du tourisme littoral et du marché européen des camping-cars? La situation, difficilement supportable, deviendra intolérable. Faut-il rappeler que l’équilibre démographique est le meilleur signe de santé d’un territoire et d’une société? entre actifs et inactifs, jeunes et vieux, résidents principaux et secondaires, résidents et visiteurs. Ce dernier équilibre est aujourd’hui rompu et la surpopulation touristique affecte gravement le quotidien des résidents. Agissons dans le sens de l’équilibre pendant qu’il en est encore temps. Avant que le “tourisme-bashing” ne se saisisse des habitants et que les visiteurs ne fuient notre territoire. Avant que l’île ne se vide de ses habitants et devienne une gigantesque chambre d’hôtes où la vie locale se résumera à l’accueil des touristes et à l’organisation de leurs loisirs balnéaires par une poignée de résignés.

 

(*) Tourisme sur l’île: pépite ou poison? en 2015; Tourisme: la stratégie du poisson-lune en 2016; Une urgence, rompre avec la politique de l’appel d’air en 2018.

 

(**) C’est en élu non dirigeant mais associé au pilotage du PLUi que je m’exprime ici.

 

(***) Je ne parle pas ici des navettes maritimes que des tarifs prohibitifs pour une famille cantonnent dans un rôle folklorique; seule une subvention consistante du Département (sur les recettes de l’écotaxe?) leur permettrait de contribuer au désengorgement de nos voies terrestres. Je ne parle pas non plus, pour l’instant, de la pollution engendrée par les hordes de véhicules individuels qui assureront pour longtemps encore l’essentiel du trafic.

 

(****) Comme à La Flotte où le POS avait réduit le taux de RML légal de 30% à 20%.